Jérémie Bachet – le 9 décembre 2024

Aujourd’hui, je voudrais vous parler d’une étude qui m’a particulièrement interpellé. Non pas parce qu’elle révèle quelque chose de complètement inattendu, mais parce qu’elle quantifie enfin avec rigueur un phénomène que beaucoup de sexologues observent en consultation depuis des années.

Une prévalence alarmante

L’étude de Jacobs et al., publiée en 2021 dans le Journal of Medical Internet Research, porte sur plus de 3 400 jeunes hommes âgés de 18 à 35 ans. Le premier chiffre qui frappe, c’est celui-ci : 21,5% des participants sexuellement actifs présentaient un certain degré de dysfonction érectile.

Un homme sur cinq. Dans cette tranche d’âge.

Pour vous donner un point de comparaison, les études des années 1990-2000 documentaient des taux de 2 à 5% chez les jeunes hommes. Nous sommes passés de 2-5% à 20-30% en deux décennies. Il y a quelque chose qui ne va pas.

La consommation problématique de pornographie : un facteur significatif

Ce que cette étude apporte de nouveau, c’est la distinction entre la quantité de pornographie consommée et la nature problématique de cette consommation.

Les chercheurs ont utilisé un outil validé, le CYPAT (Cyber Pornography Addiction Test), qui évalue non pas combien de temps on passe à regarder du porno, mais plutôt : est-ce que ça pose problème ?

  • Est-ce que ça interfère avec votre vie ?
  • Ressentez-vous un besoin compulsif ?
  • Regardez-vous des sites pornographiques dans des contextes où vous ne devriez pas ?
    (par exemple dans la maison d’autres personnes, à l’école ou au travail…)Voici quelques-unes des questions posées dans ce questionnaire.

Le résultat est frappant : chaque point supplémentaire sur l’échelle CYPAT augmentait de 6% le risque de dysfonction érectile, même en tenant compte de nombreux autres facteurs (anxiété de performance, statut relationnel, orientation sexuelle, etc.).

augmentation des problème d'érection en fonction de l'addiction à la pornographie

Plus le score CYPAT augmente plus les hommes présentent des difficultés à avoir une érection avec leur partenaire sexuel

 

Six pourcent, ça peut sembler peu. Mais le questionnaire comporte 11 questions notées de 1 à 5. Si seulement trois questions sont cotées un point plus haut, le risque augmente de 18%. C’est considérable.

La masturbation n’est pas le problème

Voici quelque chose d’important que l’étude révèle : la fréquence de masturbation n’était PAS corrélée aux troubles érectiles.

C’est crucial. Parce qu’on entend souvent : « Ah, tu te masturbes trop, c’est pour ça que tu as des problèmes d’érection avec ta partenaire. » Cette étude dit clairement : non. Se masturber fréquemment n’est pas, en soi, un facteur de risque.

Ce qui semble poser problème, c’est plutôt la nature problématique de la consommation de pornographie : le besoin d’en consommer toujours plus ou de contenu toujours plus extrême pour obtenir le même niveau d’excitation, le fait que cela interfère avec votre vie quotidienne, le conflit que vous ressentez par rapport à cette consommation.

L’âge du premier visionnage

Un autre élément troublant : 58% des hommes ayant commencé à consommer de la pornographie avant l’âge de 10 ans présentaient des troubles de l’érection, contre environ 20% pour ceux ayant commencé entre 13 et 17 ans.

Je ne dis pas ici qu’il faut paniquer et interdire tout accès aux écrans. Mais ces chiffres suggèrent qu’une exposition très précoce à la pornographie pourrait avoir des conséquences durables sur la fonction sexuelle. Cela devrait nous interroger sur l’éducation à la sexualité et à l’image que nous proposons (ou ne proposons pas) aux jeunes.

D’autres facteurs en jeu

L’étude identifie aussi d’autres éléments importants :

  • Les hommes qui trouvent la pornographie plus excitante que les relations réelles avec un·e partenaire ont 2,3 fois plus de risques de dysfonction érectile
  • Être célibataire ou en nouvelle relation augmente les risques (probablement en lien avec l’anxiété de performance)
  • La pression ressentie pour « performer au lit » est un facteur significatif
  • L’orientation sexuelle joue un rôle : les hommes ayant des fantasmes exclusivement homosexuels rapportent plus de dysfonction érectile (un résultat qui mérite d’être exploré plus en profondeur)

Ce que cela signifie en pratique

Dans mon cabinet, je rencontre régulièrement des jeunes hommes qui viennent consulter pour des difficultés érectiles. Et souvent, très souvent, la question de la pornographie émerge au fil de la consultation. Pas toujours spontanément – le sujet reste tabou. Mais quand on pose les bonnes questions, dans un climat de confiance, les patients parlent.

Ce que cette étude nous dit, c’est qu’il est essentiel d’évaluer systématiquement les habitudes de consommation pornographique chez les jeunes patients consultant pour dysfonction érectile. Non pas pour juger, non pas pour moraliser, mais pour comprendre ce qui se joue.

Beaucoup de ces hommes se masturbent exclusivement avec de la pornographie. Beaucoup ont des érections de qualité pendant la masturbation avec porno, mais perdent leurs moyens lors de rapports avec un·e partenaire. Ce décalage est révélateur d’une dysfonction situationnelle plutôt que d’un problème physiologique.

Que faire ?

Si vous vous reconnaissez dans ce tableau, quelques pistes :

  1. Prenez conscience de vos habitudes : à quelle fréquence consommez-vous de la pornographie ? Dans quelles circonstances ? Ressentez-vous un besoin impérieux ? Cela interfère-t-il avec votre vie sexuelle ou relationnelle ?
  2. Explorez la masturbation sans pornographie : réapprenez à vous exciter autrement – par l’imaginaire, par les sensations physiques, par le fantasme mental. C’est un apprentissage qui peut prendre du temps.
  3. Consultez : un·e sexologue peut vous accompagner dans cette démarche, sans jugement. La dysfonction érectile chez les jeunes hommes n’est pas une fatalité et se travaille très bien en thérapie.
  4. Parlez-en avec votre partenaire (si vous êtes en couple) : le dialogue est souvent libérateur et permet de désamorcer l’anxiété de performance.

En conclusion

Cette étude ne dit pas que la pornographie est « mauvaise » en soi. Elle dit que la consommation problématique de pornographie est associée à des troubles érectiles chez les jeunes hommes. Nuance importante.
Dernier point : La jeunesse est une notion relative. L’étude porte sur plus de 3 400 hommes âgés de 18 à 35 ans… Quand est-il de l’impact sur les hommes au delà de 35 ans, qui ne sont pas étudiés ici
Je vous laisse juge.

Mais face à ces chiffres – un homme sur cinq –, nous ne pouvons plus ignorer le problème. Il est temps d’en parler, sans tabou, sans moralisme, mais avec rigueur et bienveillance.


Référence de l’étude :
Jacobs T, Geysemans B, Van Hal G, et al. Associations Between Online Pornography Consumption and Sexual Dysfunction in Young Men: Multivariate Analysis Based on an International Web-Based Survey. JMIR Public Health Surveill 2021;7(10):e32542. doi: 10.2196/32542